Une servante, donc : dos voûté, cheveux noués sous un fichu, mains rougies par le travail, seins flétris, jambes lourdes.
Il y a trente années, elle était belle, « tout était ferme chez moi, et mes seins se dressaient que chacun voulait les tâter ». Il y a trente années, elle a connu la passion incongrue, éphémère et scandaleuse et toute la rhétorique des gestes de l’amour et de la haine qui l’accompagne, cette passion dévorante qu’elle a partagé avec l’aristocrate, dix journées durant dans le pavillon de chasse.
Aujourd’hui, elle est là, dans la moiteur d’un après-midi d’été à se raconter devant le jeune homme, à le mettre en garde, à lui dire cette part d’inoubliable qui a forgé toute son existence. Elle est là, les yeux baissés dans la mélancolie du buisson autrefois saccagé par le désir, à rapporter le dénuement de sa vie, les blessures de l'indifférence, le quotidien de son labeur. Elle est là, jalouse de l’autre, des autres, à confesser ses vilenies, les lettres interceptées, les rendez-vous arrachés, et ses mensonges.
Elle ressasse, elle remâche, elle recompose. Elle énonce le roman de sa vie, sans faire trop de bruit.
Philippe SIREUIL