Il y a cinq femmes : la vieille, la mère, l'aînée, la seconde et la plus jeune. Cinq femmes qui ont attendu. Des jours. Des mois. Des années. Assises dans l'arrière-cuisine à guetter derrière la fenêtre, le moindre bruit, le dépôt d'une lettre, la trace d'un retour, le claquement d'une portière. Ressassant les causes du départ, la dispute qui le précéda, le désarroi qui le suivit, les souvenirs de bal et les fêtes du village. S'inventant des voyages, des aventures, des destins d'où lui - le jeune frère - reviendrait un jour, paré de tous les triomphes, ayant vaincu toutes les embûches et la malédiction paternelle.
Aujourd'hui, il est là, le jeune frère, revenu de ses guerres, épuisé, malade, au bord de mourir dans la chambre de l'enfant qu'il fut. Aujourd'hui, il est là et son agonie libère le vacarme des rancœurs et des paroles refoulées, des peurs, et des règlements de comptes : cris, chuchotements, rires, larmes, invectives, aveux, sentences, mensonges et confidences. Les voilà qui parlent, ces cinq femmes, comme libérées du poids du silence dans lequel elles s'étaient réfugiées.
Aujourd'hui, il est là, le jeune frère…Vraiment ? Pas si sûr, tout compte fait. Et si ce retour n'était qu'une affabulation de plus ? Un rituel nécessaire pour qu'enfin la parole advienne, pour rompre la solitude de leurs existences ? " J'avais cru entendre un bruit " dit la mère. Ce sont ses derniers mots, les derniers mots de la pièce aussi. De quel bruit s'agit-il ?

J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne : la pièce est entrée comme effraction dans ma vie. J'avais oublié le livre sur la tablette du meuble, sans avoir eu le souci de l'ouvrir, comme souvent on fait avec les livres, les pièces qu'on vous adresse : on remet à demain, à plus tard, parfois à jamais. Un soir pourtant, le titre riva mes yeux. Pas un titre ça, presque un poème, ai-je pensé. Il en faut du culot et de l'audace pour agir de la sorte, ai-je pensé… J'ouvris le livre, lu les premiers mots, l'entièreté de la première réplique -celle où la sœur aînée raconte l'arrivée du jeune frère - et le refermai aussitôt, subjugué, bouleversé, meurtri. Il me fallait un autre cadre que l'endroit où je me trouvais pour poursuivre la lecture, où je pourrais être en tête à tête avec l'écrit, dans l'intimité nécessaire que je présupposais. Je rentrai donc chez moi sur le champ, et dans la demi-pénombre de l'appartement, dévorai la pièce. D'un trait. Avec une fébrilité comparable à celle de l'adolescent quand il rend à son premier rendez-vous amoureux.
Une fois la lecture achevée, le livre déposé - cette fois avec précaution -, j'avais une certitude : je ne remettrai ni à demain, ni à plus tard, ni à jamais, l'envie de mettre en scène cette pièce.


Philippe SIREUIL

 

J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne

de Jean-Luc LAGARCE



THEATRE DE L’ANCRE

1998


Interprétation Valérie Bauchau (la seconde), Anne Chappuis (l'aînée), Nade Dieu (la plus jeune), Marie-Ange Dutheil (la vieille), Janine Godinas (la mère).

Décor Vincent Lemaire

Costumes  Jorge Jara

Assistante à la mise en scène

Claire Gatineau

Lumières et mise en scène  Philippe Sireuil

Production

THÉÂTRE DE L’ANCRE

DE CHARLEROI







 

  photos de Véronique Vercheval ©

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