Les pupilles du tigre

de Paul EMOND


THEATRE VARIA

1986


Interprétation  Gilles Arbona (Telman), Marcel Delval (Mort-Mort), Patrick Descamps (L’illusionniste), Colette Emmanuelle (Brunelda), André Lenaerts (Tefler), Florence Madec (Béatrice), Christian Maillet (Meisterlich).


Décor Johan Daenen

Lumières et mise en scène 

Philippe Sireuil


Production

THÉÂTRE VARIA






 
  1. photos de Paul Versele ©

 

La pièce est née  d’un aveu.


L'histoire de cette pièce commence avant même que l'idée n'en jaillisse. Elle s'inscrit dans mon souhait de générer une écriture dramatique autochtone contemporaine en conviant l'écrivain sur la scène d'où la tradition bourgeoise l'en avait chassé. Molière, Shakespeare ou Brecht étaient au centre du théâtre. Tchekhov, via Olga Knipper ou Stanislavsky, aussi. En France, aujourd'hui, des gens comme Michel Deutsch, Bernard-Marie Koltès, Bruno Bayen ou Michel Vittoz, sont en contact étroit avec le plateau. Il en est de même ici avec Michèle Fabien.

Ecrire une pièce, ce n'est pas seulement maîtriser un art littéraire, c'est aussi appréhender le rythme si particulier de la narration dramatique, le corps et l'imaginaire de l'acteur, la nécessaire autonomie de la scène. Et ceci ne peut se faire qu'au travers d'une pratique du théâtre.

La pièce est née d'un aveu. Paul Emond m'avait un jour confié sa fascination, mélange d'effroi et d'intérêt, devant la façon avec laquelle, d'après lui, je m'emparais des textes que je mettais en scène. Je connaissais son œuvre romanesque ; elle m'intriguait. J'ai pensé qu'il fallait nous offrir le moyen de mieux nous connaître, un terrain où se rencontrer, et je lui ai proposé l'écriture d'une pièce. Il a d'abord refusé, par crainte non pas d'être vampirisé, mais bien plutôt d'être confronté au dialogue, à la situation dramatique, bref, au théâtre qu'il ne connaissait jusqu'alors qu'en tant que spectateur assidu et souvent morfondu. Le désir fut finalement plus grand que la peur et il accepta.

Quelques mois plus tard, Paul me donnait un premier jet : un manuscrit d'une vingtaine de pages intitulé “Une dernière comédie”. Le texte était déjà riche des germes qui allaient éclore par la suite, mais il allait falloir les faire pousser. Paul se remit au travail. Vînt ensuite une deuxième esquisse, baptisée “Les illuminés”. Puis une troisième. A la quatrième, la pièce trouva son titre actuel, “Les pupilles du tigre”. Douze étapes en tout furent nécessaires pour parvenir à l'état de la pièce telle que nous la présentons aujourd'hui.

Ecrire dans la solitude du cabinet de travail, c'est commettre un geste d'une extrême impudeur. Le faire à découvert, alors que l'écriture est un chantier, sous le regard complice mais constant d'un ou de plusieurs lecteurs, c'est plus impudique encore. Paul Emond a pourtant suscité et souhaité cette position inconfortable : celle de voir son travail remis en cause au fur et à mesure qu'il progressait, d'abord par les notes critiques et commentaires que Jean-Marie Piemme et moi-même lui adressions, ensuite par les propositions de tel ou tel acteur. C'est un écrivain d'une rare intelligence, faite d'une humilité attentive et d'une puissante subjectivité littéraire. Jamais il ne s'est départi de son écriture - personne ne souhaitait qu'il le fît - jamais non plus il ne s'est fait sourd aux échos que nous lui transmettions. Aujourd'hui encore, les répétitions étant entamées, il se montre très à l'écoute des questions que pose le travail de la scène - de l'idéologique absolu au pragmatisme le plus plat. Le paradoxe est qu'il le soit plus que les écrivains avec qui j'avais travaillé précédemment et qui, eux, étaient coutumiers du fait théâtral. C'est une première pièce, rappelons-le. Je puis d'ores et déjà dire que d'autres suivront.

Je n'ai pas demandé un texte à Paul Emond, mais bien une pièce. La nuance est importante. Une pièce, c'est une histoire, des situations dramatiques, des personnages. Cela ne signifie pas pour autant un retour aveuglé aux bonnes vieilles recettes qui ont fait leur preuve. L'écriture fragmentaire, pour pertinente et nécessaire qu'elle soit - ou plutôt qu'elle ait été, témoigne d'une impasse ; non qu'elle ne laisse derrière elle des œuvres d'une étrange beauté : je songe ici au texte de Jean-Christophe Bailly, “Les Céphéides”, ou à “Hamlet-Machine” de Heiner Müller, pour ne citer que les plus marquantes, mais il reste que le fossé creusé entre elles et le spectateur est bien souvent trop immense à franchir. A force d'évacuer le personnage, c'est la salle qu'on évacue ... Les histoires, ça se raconte au réveil, ou dans la douceur d'un amour, pour faire connaissance, ou bien encore au chevet d'un malade. Au théâtre, c'est encore ce que les gens viennent chercher, et il s'agit-là d'un désir légitime. Tout est dans la manière de le satisfaire. Il n'y a donc dans mon attitude, ni naïveté, ni abandon, mais un choix délibéré.


Philippe SIREUIL

 
LES_PUPILLES_%282%29.html