THEATRE VARIA

1989


Interprétation

PREMIÈRE VERSION

François Beukelaers (Le capitaine), Marcel Delval (Kurt), Sophia Leboutte (Kristin et La vieille femme), Nicole Valberg (Alice).

DEUXIÈME  VERSION

François Beukelaers (Le capitaine), Patrick Descamps (Kurt), Sophia Leboutte (Kristin et La vieille femme), Nicole Valberg (Alice).

Adaptation  Michel Vittoz

Dramaturgie

Jean-Marie Piemme

Décor et costumes 

Didier Payen, assisté de Céline Cherton

Maquillages

Jean-Pierre Finotto

Lumières et mise en scène  Philippe Sireuil

Production

THÉÂTRE VARIA




photos de didier payen



 

La danse de mort

d’August STRINDBERG

 

Sans peur du vertige.


Après Créanciers au Théâtre du Crépuscule, La danse de mort au Théâtre Varia. Comment cette deuxième rencontre avec Strindberg s'inscrit-elle dans votre trajectoire de metteur en scène ?

Au départ existait le projet de réaliser successivement, dans un laps de temps très court et avec les mémes collaborateurs artistiques, deux spectacles :

La danse de mort d'August Strindberg au Théâtre Varia, La mouette d'Anton Tchékhov au Théâtre National de Belgique : ç'eut été pour moi l'occasion de porter à la scène, dans un diptyque moins fortuit qu'il n'y pourrait sembler, la cruauté de la relation humaine et d'en interroger les formes de représentation, au travers d'écritures confinées aux frontières du naturalisme. Le Théâtre National de Belgique ayant infirmé l'invitation qu'il m'avait adressée, le projet a capoté.

Restaient une pièce et son auteur qui a influencé considérablement et le répertoire, et la pratique de la scène du vingtième siècle.

Nouvelliste auprès de qui Franz Kafka trouvait refuge, romancier auquel Karl Kraus et Emile Zola rendirent de vibrants hommages, peintre, poète et brillant polémiste, dramaturge salué par Eugène O'Neill, Peter Weiss et Arthur Adamov, August Strindberg fut aussi l'ardent initiateur d'un théâtre nouveau dont les écrits - je songe ici à son avant-propos à Mademoiselle Julie, à ses lettres au Théâtre Intime - ont fait date, et étaient, à l'époque, tout aussi révolutionnaires que, plus tard, les manifestes d'Antonin Artaud ou Petit organon pour le théâtre de Bertolt Brecht.

August Strindberg est un monument qu'une seule visite ne peut prétendre découvrir, un labyrinthe nauséeux, une énigme qui repousse et fascine, un écrivain dont la fréquentation étouffe et qui pourtant offre à l'acteur et au metteur en scène des matériaux fantastiques, dans le voisinage de nombre de nos préoccupations ou sensibilités contemporaines.

Ainsi que l'écrit très justement Jean-Pierre Sarrazac: “Quand on regarde à la loupe Strindberg, c'est Beckett qui apparaît”.

Qu'est-ce qui vous touche plus particulièrement chez lui ?

Sa sincérité. Sa naïveté, aussi.lI y a peu d'auteurs dramatiques qui se soient si profondément impliqués dans leur fiction, avec l'impudeur et la souffrance que pareille attitude révèle; qui aient à ce

point fait de leur travail de création le champ d'investigation de leur maladie, l'essai d'élucidation de leur rapport à la réalité.

A aucun moment, il ne s'agit d'une écriture du faux-semblant: au travers de l'univers qu'elle véhicule et exploite - cet univers où rôdent bêtise et méchanceté, mysticisme à trois sous, jalousie et cruauté, passions infantiles, il y a là une violente vérité qui, dans le même temps, me touche et m'agace.

Comment avez-vous abordé scéniquement La danse de mort ?

On a coutume de dire de l'œuvre dramatique d'August Strindberg qu'elle comporte trois volets : historique, naturaliste et mystique. Lisez successivement La Reine Christine, L'orage et Le songe, et vous verrez combien cette catégorisation, forcément schématique, ne rend compte que de façon incomplète de l'essence de l'écriture strindbergienne et des multiples courants qui la traversent.

Mettre en scène La danse de mort (pièce souvent définie comme un drame psychologico-naturaliste) consiste donc d'abord à refuser ce corset interprétatif trop rigide. Strindberg pénètre par effractions successives au sein d'un microcosme particulier, régi par une logique interne qui lui est propre, et dont les protagonistes obéissent à des motivations obscures ; il ne dépeint pas des personnages à gros traits, mais cherche à nous introduire directement au cœur même de leur fonctionnement, et ce, au travers d'une écriture acérée, abrupte et fragmentée. Il nous revient donc de déceler les différentes strates enfouies dans les répliques, tisser entre elles un fil où le spectacle puisse se tenir en équilibre et faire ensuite saillir à chaque scène le mécanisme, ses rouages minutieux, ses engrenages infaillibles. Il faut ainsi sortir d'une logique de la motivation individuelle pour entrer dans une logique de la mécanique de la relation, et s'éloigner d'une approche psychologique du conflit. La danse de mort n'est pas une vaste scène conjugale, et l'écrivain scandinave n'est pas Albee.

Pour l'acteur, représenter Edgar, le capitaine qui ne sera jamais commandant, Alice l'ancienne actrice et Kurt l'ami revenu d'Amérique, c'est mettre en jeu moins le personnage que le caractère au sens où August Strindberg le définissait luimême, en 1888 (quelle modernité !): un “conglomérat de civilisations passées et actuelles, de bouts de livres et de journaux, des morceaux d'hommes, des lambeaux de vêtements de dimanche devenus haillons, tout comme l'âme elle-même est un assemblage de pièces de toutes sortes”.

Mettre en scène La danse de mort, c'est aussi assumer et désigner la cruauté de la pièce, sans peur du vertige, mais sans fascination morbide du vide ; c'est chercher un équilibre entre la méchanceté et sa dérision; après tout, et pour paraphraser un slogan publicitaire bien connu, la vie est trop courte pour se déchirer triste.


Propos recueillis par Nadine Eghels.

 
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